
Bonjour Pierre,
J’ai le plaisir de t’avoir comme collègue au Conservatoire Mozart Centre où tu enseignes la formation musicale et l’écriture. À l’occasion des journées du répertoire, j’ai découvert tes compositions qui m’ont complètement émerveillée. Nous y avions donné au concert final ta pièce pour Cor et piano « chasse l’aventure! » pièce pour second cycle, et récemment nous avons travaillé sur cinq de tes chansons pour voix d’enfants et piano, extraites du recueil « Un jour, un chant »… J’ai voulu en savoir plus sur toi!
Ton univers nous plonge dans celui de l’enfance, avec ses objets familiers, qui semblent prendre vie, nous font accéder à un univers enchanté. Il y a de l’humour, de la tendresse, une fraîcheur, on pense à Ravel. Es-tu d’accord avec cela?
J’apprécie ce retour et suis touché par la référence à Ravel. Se connecter (artistiquement) à l’univers de l’enfance, c’est une façon de se connecter à la vie des objets, leur potentiel sonore, le plaisir du jeu et du mouvement, les moments où le temps ne semble pas avoir de prise
Tu écris tes textes, on te sent amoureux du verbe des jeux de mots, des allitérations… tu es donc aussi poète? Quel est ton rapport à la littérature, tes poètes préférés?
C’est un peu poussé par des contraintes externes (comme complèter un spectacle avec des paroles manquantes) que je me suis attelé à écrire les textes de mes chansons et ceci avec beaucoup de plaisir. Écrire du texte chanté me fait toucher le véritable potentiel sonore des mots, en plus de leurs réseaux de significations. Pour ce qui est de mon rapport à la littérature ainsi qu’à la poésie, certes, j’aime beaucoup lire divers types de textes : romans, essais, nouvelles… Pour ce qui est des poètes, je crois que c’est par la musique que j’ai fait leur connaissance : Eluard grâce à Poulenc, Aragon grâce à Jean Ferrat…
Je voudrais aussi savoir si paroles et musiques te viennent en même temps ? Plutôt les paroles d’abord? Comment cela se passe-t-il ? Pourrait-on parler en particulier de la chanson « Copeaux de bois », aux accents verlainiens je trouve, empreinte d’une nostalgie et d’un lyrisme qui m’ont particulièrement émue: voudrais-tu bien nous en parler?
Tes questions sont intéressantes car elles nous font aborder l’éternelle problématique des compositeurs lyriques : d’abord les paroles ou d’abord la musique ?
Pour le recueil Un jour, un chant, souvent, un jeu de langage retient d’abord mon attention (« le génie ingénu », « pratiques hippiques » ou bien « coupe ta pâte » ). C’est d’abord un potentiel sonore, qui petit à petit fait sens. Peu à peu une mélodie épouse ce jeu de langage (mélodie facile à trouver avec « Domicile adoré » !). Pour cette partie du travail : d’abord les paroles ! Mais, quand la structure d’un couplet est achevée et que je m’attelle à l’écriture d’autres strophes de texte, le travail s’inverse : à partir de la structure musicale, il s’agit de trouver la formulation verbale qui épousera les rythmes et les notes . Pour cette autre partie du travail : d’abord la musique!
La chanson « Les Copeaux de bois » traite bien sûr du thème de la fuite irrémédiable du temps, mais aussi il s’agit surtout d’un hommage à l’artisanat et au métier manuel de mon grand-père, Maurice, le charpentier. Les changements de rythmes et de mesure évoquent les gestes précis et calculés du travail du bois, qui font partie de mon « monde d’avant ». D’autres gestes sont évoqués dans « Les Croissants » : ces gestes extrêmement vifs, répétitifs et routiniers sont liés à mon autre grand-père, Michel, le viennoisier. Ces deux chansons sont une façon d’établir un lien entre les disparus et les vivants, et un lien entre notre monde tel qu’il est et un monde lié à l’artisanat et au travail manuel.
En juin dernier, lors du concert que j’ai accompagné au piano dans tes œuvres pour chorale, la réaction du public a été palpable: tes musiques ont diffusé une bonne humeur collective, et je dirais aussi « chorégraphique » dans le sens ou l’on avait presque envie de danser – je suis fan des opérettes de Messager, Yvain…- par exemple dans « esprit sport ». Que voudrais-tu ajouter à cela?
Le texte d’introduction du recueil prépare l’auditeur : chaque journée possède ses activités propres, à chaque jour sa chanson. A minima, presque toutes les chansons du recueil sont liées à un mouvement ou un geste. On a parlé plus haut de l’importance du travail manuel (où quelque part les mains dansent), « Le Géomètre » comme « L’Ingénieur de génie » évoquent la question de la recherche (en tant qu’activité intellectuelle mais aussi physique), dans « Au jardin » peut résonner le pas d’une promenade contemplative et méditative, et bien sûr « L’Esprit sport » énumère de nombreuses pratiques physiques. Pour ce qui est du lien à une chorégraphie (imaginaire), on trouve dans « L’Ingénieur de génie » des rythmes de tango et de habanera, une tarentelle est à la base de « Les Croissants » tandis que « Le Géomètre » se fonde sur un rythme à sept temps de bossa cabossée.
Parlons de tes œuvres pédagogiques, pour ma part je dirais que la composition passe par la connaissance des capacités techniques des jeunes interprètes. Je pense par exemple au cycle de « musiques pour enfants de Prokofiev », ou encore aux compositions de Mel Bonis, où la technique est complètement adaptée aux enfants, tout en nous offrant la quintessence de leur langage en miniature. Je retrouve la même chose dans tes œuvres: comment parvient on à cela?
Pendant toute une période, j’ai enseigné le piano à de jeunes enfants tout en réalisant des accompagnements (au piano) pour des classes de débutants en violon, flûte ou saxophone… Il s’agissait d’un formidable terrain d’observation permettant d’appréhender les enjeux techniques de différents instruments et comment le rapport à la note, la durée ou la nuance s’établit différemment en fonction du jeu instrumental. De tout cela, l’écriture de pièces pour la pédagogie découle assez naturellement. C’est toujours un pari stimulant et instructif que d’écrire pour un instrument que je ne maîtrise pas (c’est à dire, quasiment tous!). Il faut comprendre de l’extérieur la technique instrumentale. Par exemple, les contraintes d’un cor ne sont pas celle d’une guitare et c’est amusant de constater que les différences d’écriture sont liées aux particularités techniques. La composition est façonnée par les contraintes techniques et j’irai plus loin en affirmant que dans mon cas, c’est selon la technique qui engendre le langage.
Nous sommes sur la même longueur d’onde!
Tes œuvres sont particulièrement agréables à jouer au piano, as-tu de nouveaux projets pour cet instrument? Je suis intéressée!
Merci ! En ce début d’année 2023 je suis en pleine composition d’une Sonate pour piano. Il y aura deux mouvements et le tout durera une quinzaine de minutes. Le 1er est achevé et le 2d… s’écrit par intermittence. À suivre !
Voudrais tu nous parler un peu de toi, de ton enfance justement? De la façon dont elle peut nourrir ton inspiration? Enfin quels sont tes projets, voudrais-tu nous confier un rêve que tu voudrais réaliser?
J’ai eu la chance de grandir dans un environnement musical varié et éclectique : lors de longs voyages en voiture, quel bonheur que d’écouter et de réécouter de nombreuses k7 audios compilant ici Jeanne Moreau, là Beethoven, une touche de Manhattan Transfert suivi par Bach… Il n’y avait pas d’autre plaisir que de se laisser porter à l’écoute de ces patchworks musicaux. Je crois que ceci a profondément marqué le compositeur que je suis devenu : la capacité, la volonté et le désir de pouvoir passer d’un style à un autre, d’un vocabulaire à un autre, d’un langage à un autre, au gré des demandes et des intentions exprimées.
En décembre dernier (2022), la Compagnie de l’Éléchant, en coproduction avec Le Leurre (Granville), a créé le conte musical Qu’une-oreille pour lequel j’ai eu le bonheur d’écrire le livret ainsi que la musique. Cet « opéra jeune public » met en scène un personnage singulier : il n’a qu’une oreille, or celle-ci lui permet d’entendre des choses que d’autres ne peuvent entendre, ce qui le conduit à une série d’aventures.
Ce serait pour moi très stimulant de continuer à explorer ce type d’univers opératique, porteur de sens et d’expérimentations, dans un deuxième opéra!
Magnifique livret plein d’intelligence et porteur de sens en effet… Je suis sûre que tu ferais des merveilles dans un deuxième opéra.
Un très grand merci Pierre, pour ta disponibilité et cet entretien, hâte de découvrir tes nouvelles compositions. A bientôt!
Liens vers Pierre Agut compositeur, pour notamment l’intégrale du recueil « Un jour, un chant », à noter que les textes se trouvent à la suite des chansons.
soundcloud.com/pierreagutcompositeur
voir le concert de clôture des répertoires pédagogiques de janvier 2022 avec la pièce pour cor et piano « Chasse l’Aventure », cité au début de l’article.